Atelier avec le Chaînon au Pavillon central

Hiver 2025

Contexte

Le Chaînon est une association d’entraide située à Montréal, dont la mission est d’accueillir des femmes en situation de vulnérabilité en leur offrant un hébergement sécuritaire ainsi qu’un accompagnement adapté à leurs besoins.

Treize personnes participantes[1], âgées en moyenne de 58 ans, se sont inscrites aux ateliers d’arts visuels qui se sont déroulés sur une période de dix semaines durant l’hiver 2025, à raison d’une rencontre hebdomadaire de 2 h 30 dans le spacieux et lumineux salon du bâtiment central de l’organisme.

Les personnes participantes présentent des parcours scolaires et professionnels variés, et plusieurs possèdent une expérience, formelle ou informelle, dans le domaine artistique. Toutes ont vécu une situation d’itinérance — qu’elle soit situationnelle, cyclique ou chronique.

L’équipe d’art était composée d’Adriana De Oliveira, chercheure et professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM, de Fanny Albouker, artiste et doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM, ainsi que d’Isabelle Anguita, artiste et étudiante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’UQAM.

Le comité consultatif, qui encadre le projet au sein du Chaînon, est formé de Sonia Côté, présidente-directrice générale, de Dany Lessard, directrice générale adjointe, et de Krystel Drouin, intervenante de milieu au sein de l’organisme.

Approche artistique et pédagogique

L’approche artistique et pédagogique adoptée s’est construite en fonction des personnes participantes, de la mission et des valeurs de l’organisme d’accueil, ainsi que des objectifs et questions de recherche. Ces dernières visent à mettre en place et à analyser des pratiques artistiques et muséologiques adaptées aux personnes impliquées, tout en cherchant à comprendre le rôle que peut jouer l’art dans leur rétablissement et leur participation citoyenne. Dans cette perspective, l’approche vise à encourager la prise de parole comme acte de création partagée, à renforcer les liens sociaux et à soutenir l’émergence des voix individuelles et collectives.

Les activités de création proposées s’inscrivaient dans le champ des pratiques contemporaines en arts. Elles comprenaient le collage, la performance photographique, l’écriture, le tissage et la broderie. À ces pratiques s’ajoutait l’appréciation d’œuvres d’art et d’images culturelles en lien avec les techniques et les thématiques abordées.

Séances de création

Les séances étaient centrées sur des propositions de création, déployées à court ou à plus long terme, permettant ainsi de mieux connaître les forces, les habiletés motrices et cognitives, le rythme, l’expérience et les désirs de chaque personne participante.

Brise-glace

La première séance, pensée comme un moment d’accueil et de découverte, invitait chaque personne participante à réaliser une création visuelle individuelle à partir de la technique du collage. L’activité s’est appuyée sur une question mobilisatrice et ouverte, favorisant l’introspection et l’expression personnelle autour du thème « Tisser nos vies ».

Mots-manifestes

La deuxième séance, intitulée Mots-manifestes, proposait à chaque personne du groupe de choisir un mot représentant une qualité qu’iel souhaitait affirmer « haut et fort ». Ce mot était ensuite mis en valeur à travers une exploration visuelle de la typographie, de la composition, de la couleur, du collage, ainsi qu’au moyen d’une séance photographique où chaque personne posait avec son mot-manifeste.

Portraits tissés

Ce projet s’est déployé en deux grandes étapes, dans l’optique de produire des tissages à partir de portraits photographiques réalisés en atelier.

La première séance a débuté par une présentation sur grand écran de différents types de portraits réalisés par des artistes photographes, destinée à nourrir l’imaginaire des personnes participantes. Elle a été suivie de séances photo durant lesquelles les personnes devenaient tour à tour photographes et modèles, dans un studio aménagé dans le local. Dans une atmosphère à la fois vive et joyeuse, chaque personne s’est investie avec enthousiasme et créativité, affirmant sa singularité à travers différentes mises en scène.

Cette première étape a été ponctuée de rires, d’encouragements et d’échanges solidaires, malgré quelques défis techniques rencontrés avec l’équipement. Comme l’a justement exprimé une personne participante : « En art, on apprend par les difficultés rencontrées et par les erreurs » — un rappel précieux qui faisait écho à l’expérience vécue durant l’atelier.

Les séances suivantes ont été consacrées au tissage de deux portraits, sélectionnés par chaque personne parmi les photographies réalisées précédemment. L’objectif de cette phase était de s’engager dans une création à plus long terme, en explorant différentes facettes de son identité à travers une seule image.

Lors du retour sur ce projet, plusieurs personnes du groupe ont évoqué les difficultés rencontrées au début du processus, notamment pour comprendre la technique du tissage sur papier. Toutefois, au fil des séances, non seulement les bases techniques ont été acquises, mais le plaisir de créer s’est aussi manifesté. Ce basculement — de la difficulté à la satisfaction — a été particulièrement marquant.

Tout au long de ce projet, une forte dynamique d’entraide s’est installée. De nombreux gestes de solidarité ont été observés, tel le partage de matériel, des échanges d’astuces pour faciliter la manipulation des outils, explications spontanées aux personnes qui avaient manqué une consigne. Cette coopération active a non seulement permis de surmonter les obstacles, mais a aussi renforcé l’esprit de groupe et le plaisir d’apprendre ensemble.

Le dessin

La dernière séance de création a été consacrée au dessin — un médium que plusieurs personnes participantes souhaitaient explorer.

Comment répondre à ce désir dans un cadre misant sur l’exploration et l’expression artistique, plutôt que sur un apprentissage technique traditionnel ? La question se posait d’autant plus que l’idée de « bien dessiner » reste souvent associée à la capacité de représenter le réel de manière réaliste — une norme qui peut être source de blocage et de frustration. Dans ce contexte, celles et ceux qui n’y parviennent pas rapidement, ou dont le dessin ne semble pas « beau » ou « abouti », ont tendance à penser qu’ils ont échoué. C’est précisément ce que nous souhaitions éviter, sachant que les personnes du groupe vivent, ou ont vécu, de nombreuses situations d’échec au cours de leur vie.

Dans cette perspective, nous avons cherché à répondre à leur souhait tout en déconstruisant certaines idées préconçues associées à la réussite en dessin. Pour ce faire, deux activités ont été proposées :

La première, pensée comme un échauffement collectif, consistait à réaliser des dessins courts à partir de consignes précises combinées à des contraintes créatives (dessiner avec la main non dominante, dessiner à l’envers, etc.). À chaque fois, les feuilles étaient échangées, permettant à chaque personne de poursuivre le travail de l’autre.

La deuxième activité proposait la réalisation d’un dessin individuel en deux temps : d’abord, reproduire les lignes de la paume de sa propre main ; ensuite, à partir de ces lignes, imaginer et dessiner un paysage, réel ou inventé. Nous avons observé que les personnes participantes se sont engagées avec enthousiasme dans cet exercice, chacune s’appropriant la proposition à sa manière. Certaines ont opté pour un rendu très réaliste, tandis que d’autres ont exploré des formes plus abstraites ou imaginaires.

Premiers constats

Bien que l’analyse des données ne soit pas encore amorcée, certaines tendances générales se dégagent déjà. Les séances d’arts visuels ont ouvert un espace-temps propice à la (re)découverte de son potentiel à travers une diversité de matières, d’images, de mots et de fils. Un lieu pour affirmer sa voix, tisser des liens, et où s’est peu à peu imposée l’idée que le risque, tout comme l’« erreur », sont non seulement permis, mais font pleinement partie du processus de création.

Au fil des séances, une dynamique vivante d’entraide a émergé, accompagnée d’un plaisir sincère à inventer, imaginer et façonner quelque chose de personnel. Au-delà des œuvres produites, c’est cette vibration — individuelle et collective, fragile mais tenace — qui témoigne du potentiel transformateur de l’art dans un parcours de rétablissement.

 

 

[1] Certaines personnes du groupe ne s’identifiant pas comme des femmes, une formulation inclusive a été privilégiée afin de respecter la diversité des identités des personnes participantes.